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Mahjoub Ben Bella - 2004

Ecriture, mythe

 

L’écriture, c’est le balbutiement initial. Le geste primaire, élémentaire, main refermée sur le manche, lovée dans sa plus étroite intimité, directement du cerveau au doigt, sous le contrôle de l’œil, dirigeant un minuscule mouvement, et d’autres encore. Des nerfs, des dizaines de muscles et de tendons, le déplacement habile, aisé, aigu de la pointe sur une surface plutôt plane, le cheminement étrange presque animal, comme une colonne d’insectes obstinés, des signes alignés, égaux, soudés. Le chat qui surveille la course nerveuse sur le papier y met souvent la patte.

L’enfant s’émerveille de cette chorégraphie mystérieuse, magique, pour lui sans signification, mais mystique, ô combien. Après la lettre, vient la ligne. La pointe s’échappe, abandonne le sage alignement des mots, prend sa liberté, se fait vague, montagne, maison, lac, vrille, hanche de femme, boucle de cheveux. C’est toujours une écriture. Les Chinois déroulent leurs bandes de soie sur les murs et invitent leurs amis à « lire la peinture ». Le même pinceau a tracé les signes du poème et la montagne aux cascades. D’ailleurs, comme il y a partout dans le monde toutes sortes de naissances mythiques de l’écriture, celle des Chinois n’est pas la pire. L’empereur Huang-Che découvre l’écriture en contemplant les empreintes des oiseaux et des bêtes de la campagne sur la terre. De la sauvagerie, du hasard, de la boue, il tire le noble alignement contrôlé des caractères d’encre noire.

A chacun son mythe. Les peintures en ont aussi. Mahjoub Ben Bella  vers six, sept ans. Il ne savait pas encore tout à fait lire ni écrire. Il n’avait que des rudiments. Il ne comprenait pas le sens des mots. Il s’emparait de livres scientifiques ou médicaux, de dictionnaires. Il recopiait avec application des pages entières en inventant, en réinventant les caractères, les mots, les lignes. ça avait un rapport avec le tricot, dit-il aujourd’hui. Il adorait tricoter. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers. Le tricot c’est comme une écriture serrée. Ecriture par la laine ou par le fil. Le motif naît de l’entrelacement des mailles. La maille naît du geste expert des doigts. Recopier des livres et tricoter, les deux seules passions à cet âge. Avec le foot peut-être..

 

Alain Jaubert